Paul JUNGERS (1932-2022)

Le Pr Paul Jungers nous a quittés le 1er Avril dernier, à l’âge de 89 ans.

 

 

Originaire de Lorraine, issu d’une famille modeste, il disait avoir appris très jeune auprès des siens le culte du travail et de la dignité.

Ma vocation est née de l’enthousiasme que j’avais ressenti pour les découvertes géniales de Pasteur, à l’occasion des cours de sciences naturelles lors des années terminales du lycée. J’étais fasciné par leur logique qui démontrait l’inanité de la théorie de la génération spontanée et par la découverte des principes de l’immunité et leur application à la vaccination. J’admirais sa volonté de mettre ses découvertes au service des hommes et le courage qu’il lui avait fallu pour, transgressant tous les interdits, prendre le risque de vacciner… Pasteur représentait pour moi un modèle d’exigence scientifique et de désir de soigner qui correspondait à mes aspirations et qui a décidé de ma vocation d’entreprendre des études médicales.

Sorti Major du PCB de Nancy, il est admis comme boursier à la cité Universitaire et débute ses études de médecine à Paris

Au cours de mes deux premiers stages d’externe dans les services de chirurgie de l’hôpital Necker, je profitais de la proximité du service du Pr Hamburger pour suivre sa grande visite hebdomadaire, où son approche à la fois scientifique et humaniste de la médecine m’a profondément marqué.
La chance a permis que j’y sois accepté d’emblée comme interne, puis comme chef de clinique (1961-1970), et enfin comme agrégé. J’ai eu ainsi le privilège de vivre toutes les étapes de l’aventure de la néphrologie, de la naissance de la réanimation médicale aux débuts du traitement de l’insuffisance rénale aiguë par le rein artificiel, puis de l’insuffisance rénale chronique par l’hémodialyse périodique, et ensuite aux perfectionnements continus du traitement conservateur de l’insuffisance rénale chronique et de sa prévention.


Paul Jungers a dévéloppé durant les 40 années passées à l’hôpital Necker
un programme de recherche éclectique, couronné de plus de 300 publications, dans les revues les plus prestigieuses.
Son dynamisme était entraînant :  plusieurs générations d’internes, de chefs de clinique,      de médecins en cours de spécialisation, de résidents venus de toutes les parties du monde, de médecins des centres de dialyse associés : il proposait un travail scientifique dès qu’il repérait une bonne volonté ou un savoir faire.

Le fil conducteur de ce travail titanesque ? « faire bénéficier sans retard les patients des avancées thérapeutiques au fur et à mesure de leur découverte, en s’appuyant sur les acquis les plus récents.. ». La plupart des études ont débouché sur des applications thérapeutiques concrètes. Parmi les principaux sujets abordés :

  • L’hépatite B. Paul Jungers décrit l’épidémiologie de l’incidence de l’hépatite B chez les patients et le personnel soignant des unités d’hémodialyse, et devient coordonnateur de l’essai randomisé national du vaccin produit par l’Institut Pasteur. Il faut convaincre les collègues de la nécessité d’un essai randomisé prospectif, impliquant par définition que la moitié des sujets participants seront exposés au risque de contamination. Le comité national d’éthique, créé à cette occasion, valide le principe de cet essai et permet d’entrainer l’adhésion de tous. A partir de 1981, la vaccination permet d’éradication progressive de l’hépatite B dans les unités de dialyse et de réanimation, et sa prévention dans la population générale.
  • Traitement des formes sévères de néphropathie lupique. L’adjonction de cyclophosphamide aux corticoïdes, sous l’impulsion de JF Bach, évaluée chez 32 patientes, améliore considérablement le taux de rémission des formes sévères de néphropathie lupique
  • Grossesse chez les patientes lupiques. Les études épidémiologiques conduites avec Maxime Dougados, François Tron, Frédéric Lioté et Pascal Houillier ont permis de définir les conditions à respecter pour obtenir une évolution fœtale et maternelle favorable de la grossesse chez les femmes atteintes de néphropathie lupique. Une collaboration avec le service d’endocrinologie de l’hôpital Necker permet de définir les règles d’une contraception hormonale évitant le risque d’exacerbation de la maladie.
  • Problèmes de la grossesse chez les femmes atteintes de néphropathie. La survenue d’une grossesse était à l’époque déconseillée chez les femmes atteintes d’une maladie rénale. Considérant que le désir de maternité était légitime chez toute femme, et que cette interdiction ne reposait pas sur des bases démontrées, Paul Jungers entreprend une étude épidémiologique avec l’aide de Pascal Houillier et de Dominique Forget portant sur plus de mille patientes atteintes de maladies rénales de tous types et ayant, ou non été enceintes avec l’aide de Pascal Houillier et de Dominique Forget. Cette étude permet de déterminer les conditions optimales d’une grossesse planifiée permettant d’aboutir à la naissance d’un enfant vivant, sans aggravation de la néphropathie maternelle. De plus, une étude cas-témoin portant sur 360 femmes atteintes de différents types de glomérulonéphrites primitives permet de démontrer que la grossesse par elle-même n’augmente pas le risque d’évolution vers l’insuffisance rénale lorsque la fonction rénale était initialement normale ou proche de la normale. Ces études ont permis à de nombreuses femmes de mener à bien leur désir de maternité et leurs conclusions ont été universellement confirmées et adoptées.
  • Traitement de l’urémie chronique par les cétoanalogues. La possibilité de ralentir la progression de l’urémie en diminuant la production d’urée à l’aide d’une préparation d’acides aminés essentiels amputés de leur radical azoté a été étudiée à partir de 1982 avec Philippe Chauveau. Cette méthode a permis de retarder substantiellement la date de la dialyse de suppléance chez de nombreux patients, objectif important à cette époque où le nombre de postes de dialyse était encore très insuffisant. Cet abord nutritionnel, contraignant et difficile à supporter, fut délaissé en France lorsque la disponibilité en postes de dialyse est devenue suffisante, avant d’être de nouveau mise à disposition il y a quelques années.
  • Mise en évidence des conséquences défavorables d’une prise en charge en dialyse tardive des patients atteints d’insuffisance rénale chronique et, au contraire, des bénéfices d’un suivi néphrologique précoce
  • Evaluation des indications respectives de la dialyse de suppléance et du traitement conservateur et de leurs conséquences chez les sujets très âgés atteints d’insuffisance rénale avancée
  • Mise en évidence, avec Philippe Chauveau et Malik Touam, du rôle athérogène de l’hyperhomocystéinémie dans l’insuffisance rénale chronique, et de la possibilité de sa correction par un apport oral d’acide folique, qui a pour effet bénéfique supplémentaire d’améliorer l’érythropoièse.
  • étude de la dysrégulation immunitaire induite par l’état urémique, notamment mise en évidence de l’augmentation du taux plasmatique des cytokines pro-inflammatoires (TNFalpha et IL-1bêta)  et des produits avancés d’oxydation des protéines (AOPP), responsables d’un stress oxydant concourant à l’athérogenèse, avec Béatrice Descamps-Latscha et Lucienne Chatenoud.
  • Démonstration épidémiologique d’une incidence trois fois plus élevée d’accidents athérothrombotiques chez les insuffisants rénaux dialysés et prédialysés, caractérisant un athérome accéléré, et analyse des facteurs de risque d’athérome chez l’urémique, conduisant au concept de l’importance de la cardioprotection chez ces patients, avec Ziad Massy, Thao Nguyen-Khoa et Gérard London.
  • Enquête épidémiologique exhaustive sur l’incidence de l’insuffisance rénale terminale traitée par dialyse de suppléance en Ile de France en 1998, qui a servi d’étude pilote pour l’élaboration du programme, national REIN (Réseau Epidémiologie et Information en Néphrologie).
  • Révision complète, avec Michel Daudon, des conceptions sur l’exploration et le traitement médical de la lithiase urinaire, tant dans ses formes communes que dans ses formes héréditaires sévères, et élaboration de nouvelles règles pratiques adoptées par l’ensemble de la communauté uro-néphrologique.


Paul Jungers fut aussi un enseignant remarquable, passionné et captivant. Ses ouvrages didactiques sur la lithiase, l’IRC, la dialyse, régulièrement réédités et actualisés, ont formé et continuent de former des générations de néphrologues francophones.

Respecté et admiré, mais loin d’être intimidant, Paul Jungers était très proche du personnel soignant, et il fut un clinicien empathique, véritablement à l’écoute des patients dans le cadre de ses consultations et lors des hospitalisations. En avance sur son temps, il avait compris l’importance d’une prise en charge globale du patient et non pas exclusivement technique de la maladie rénale.

Partant du principe que ce n’est pas seulement au patient de s’adapter au traitement, mais aussi au traitement de s’adapter au patient, il m’est apparu indispensable d’adapter individuellement les prescriptions thérapeutiques aux conditions de vie et d’activité, au contexte familial et à l’âge des patients, et de prêter la plus grande attention à leur moral et à leurs préoccupations. Ma meilleure récompense a été de voir de nombreux patients, qui abordaient la consultation avec un visage fermé et anxieux, en repartir avec le sourire, assurés que tous les moyens existants étaient mis en œuvre pour retarder l’échéance de la dialyse et leur permettre de mener une vie aussi normale que possible.

Chercheur, enseignant et médecin accompli, Paul Jungers fut un modèle pour beaucoup. Ceux qui ont eu la chance de travailler à ses côtés ont aimé l’homme enthousiaste, fourmillant d’idées, perspicace, tenace, droit et exigeant certes, mais aussi chaleureux, attentif et disponible.

En 2012, Paul Jungers avait reçu avec émotion la médaille Jean Hamburger de la Société de Néphrologie. La famille néphrologie française et francophone se réunit à nouveau à travers ces mots pour lui rendre hommage.

Nos pensées vont vers son épouse, Mme Suzanne Jungers, ses enfants M. et Mme Olivier Jungers, M. et Mme Pierre-Yves Jungers, et ses petit enfants, Pierre, Victoire, Bryan, Lara, et Nicolas.

Professeur Dominique JOLY, Hôpital Necker, Paris