Frank Bridoux

In memoriam - Frank Bridoux

Frank est décédé le 14 aout après un combat trop court contre la maladie. Il avait 61 ans.
Frank était une personnalité exceptionnelle. Tous les néphrologues perçoivent l'importance de ce qu'il a apporté à notre discipline. Celles et ceux qui l'ont cotoyé à l'hôpital et au laboratoire reconnaissent le brillant collègue et scientifique, rigoureux et exigeant, pour lui comme pour les autres; ils reconnaissent aussi son charisme et sa grande humanité, son sens profond de l'amitié.

Né à Niort, externe à Poitiers, Frank a fait son internat de néphrologie à Lille et à Valenciennes dans le service de Philippe Vanhille puis un Master de recherche en Immunologie dans le laboratoire de Philippe Druet à Broussais. De retour à Poitiers dans le service de Guy Touchard et très tôt intéressé par les complications rénales du myélome et des gammapathies monoclonales chères à son mentor, il a complété sa formation avec un doctorat d'université dans le laboratoire d'immunologie de Michel Cogné à Limoges et effectué un stage post doctoral dans le centre de référence de l'amylose dirigé par Mark Pepys, au Royal Free Hospital à Londres. De retour à Poitiers, il s'est attaché à développer un axe thématique fort sur les maladies de dépôts d'Ig et a noué des liens étroits combinant l'expertise clinique et anatomopathologique de Poitiers et les expertises d'Arnaud Jaccard en hématologie et de Michel Cogné et Christophe Sirac en immunologie et dans le laboratoire CRIBL à Limoges.

Frank a largement contribué au développement de nouveaux modèles expérimentaux qui ont été une clé pour une meilleure compréhension de ces maladies de dépôts. De la clinique au laboratoire, c'est un très bel exemple de réussite de recherche translationnelle. Au service des patients, il a participé à la création du Centre de Référence des amyloses AL et des maladies de dépôts d'immunoglobulines et d'une RCP Nationale dont les réunions bimensuelles sont une aide clinique indispensable aux néphrologues. Son énergie l'a aussi amené à créer avec Colin Hutchison à Birmingham et Nelson Leung à la Mayo Clinic l'IKMG, Groupe International du Rein et du Myélome et des gammapathies monoclonales qu'il a présidé en 2018. La somme de travail réalisée est impressionnante. Le démembrement des MGUS en MGRS, gammapathies monoclonales de signification rénale, a pavé le chemin vers la reconnaissance des MGCS, gammapathies de signification clinique, et a ouvert la voie des thérapeutiques hématologiques à des patients dont la prise en charge était jusque-là beaucoup plus incertaine. Frank a initié et contribué à de nombreux essais cliniques majeurs, nationaux et internationaux. Sa production scientifique est tout à fait exceptionnelle. Un axe de recherche majeur mais aussi un travail collectif et un compagnonnage remarquable et des liens d'amitié profonde noués avec de nombreux chercheurs, médecins et scientifiques, en France et dans le monde.

Une forte volonté de transmettre et un talent pour accompagner les plus jeunes vers la recherche, conjugué à un charisme et à un sens de l’accueil et de l’hospitalité très au-dessus de la moyenne ne sont pas étrangers au très beau succès de l'école de néphrologie poitevine. Enfin, également proche des équipes soignantes de son service, il était aussi très proche et apprécié des patients. Frank s'est impliqué dans différents conseils scientifiques, il a été élu à notre CNU et il a également été élu membre correspondant de l'Académie Nationale de Médecine. Il est une figure de référence d'un nombre impressionnant de médecins et de scientifiques, de générations de néphrologues jeunes et moins jeunes. Une très belle réussite, mais pas une fin en soi et Frank restait d'une curiosité scientifique et d'une humilité inaltérables.

En dehors de la science et de la néphrologie, Frank était une personne cultivée, un esprit ouvert, d'une rare finesse et sensibilité. Il était aussi passionné; par la pêche à la mouche et je ne connais pas beaucoup de maisons où on peut s'instruire sur l'art de la  fabrication des mouches ou le choix d'un moulinet, les meilleures rivières à truites de Nouvelle Zélande ou d'Amérique du Sud... Et puis la musique, les Ramones, les Clash, Willy de Ville, Neil Young, et puis Corto Maltese et Bouche dorée, et puis la vie des indiens d'Amérique qui le fascinaient et qu'il connaissait par coeur... Humaniste, cultivé, oui et je n'oublie pas ses références précises et limpides quand la discussion pouvait rencontrer un point critique de l'histoire. Et qui d'autre que lui pour écrire dans le livre "De la vigne aux platines", ce très beau texte qui croise l'éloge de Neil Young et celui d'un vin du jura, un Arbois rouge ? Oui, il était aussi épicurien, aimant provoquer et savourer des moments de plaisir à partager. Frank n’était pas une personnalité lisse ! Parfois provocateur ? oui peut-être. Parfois dur ? oui, mais pas brutal; il était franc, direct, intransigeant avec ses valeurs, d'une honnêteté intellectuelle scrupuleuse. Il était droit, une personne qui exprimait et assumait ses opinions même à contre-courant. A tous, collègues, amis, famille, et tout particulièrement à Valérie, et à Thomas et Anna ses enfants, je voudrais dire combien Frank était important pour nous tous, tout ce que nous lui devons comme médecin, comme scientifique et aussi en tant qu'homme et ami.

François Vrtovsnik
Christophe Mariat

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