Philippe BAGROS 1933-2022

Philippe Bagros est né en 1933 à Boulogne-Billancourt. Il fit ses études de médecine à Paris  où il fut interne. Il fréquenta les services de médecine interne et découvrit la néphrologie auprès du Pr Hamburger pionner et créateur de la discipline.
Avec sa seule expérience d’interne il arrive à Tours en 1965 pour prendre un poste de chef de clinique assistant avec la mission de créer l’activité de dialyse pour les patients en insuffisance rénale.
L’accueil à l’époque fut mitigé car beaucoup de médecins ne croyaient pas en la possibilité de maintenir en vie des patients en dialyse chronique, l’histoire prouva le contraire.

Ce ne fut donc pas possible tout de suite, alors il s’occupa à faire des remplacements de médecine générale, à essayer de convaincre avec difficultés ses collègues d’aborder les maladies rénales avec la modernité de l’époque comme faire des biopsies rénales pour mettre un nom aux maladies.

Il venait faire la dialyse et la première séance de dialyse eu lieu en 1969.

Les patrons locaux le regardaient débonnaires en disant mon pauvre Bagros jamais personne ne voudra de votre truc, les médecins ne vous enverront pas de malades, cela ne pourra pas marcher.
Pour Philippe, ça marchait à Paris donc ça marcherait à Tours
Il n’imaginait pas que son service deviendrait le plus gros contributeur de l’économie du CHU. 
Il resta seul ou presque pendant 2 ans 
Je fus son premier interne en titre le 1 octobre  1971.
Nous étions deux, Il n’était pas vraiment le patron, plutôt le compagnon puis l’ami, puisqu’on se partageait gardes et gestes, plein d’humilité pour la découverte commune des aléas de la dialyse.

Dès 1971 il fonda l’une des premières associations de dialyse à domicile (ARAUCO) car pour lui tout le monde pouvait faire la dialyse puisqu’il y arrivait lui. Si bien qu’aujourd’hui 70% des dialysés de notre département sont traités en dehors du centre ambulatoire en autodialyse ou à domicile.
Philippe Bagros connaissait ses limites, il eut tout de suite l’intuition que le développement de la néphrologie serait un grand chantier  et qu’il devait confier à des plus jeunes tous les secteurs d’activité.
C’est ainsi que Josette Pengloan développa l’hémodialyse en centre, jean Louis Jourdan la dialyse à domicile et qu’il me confia la néphrologie clinique et l‘activité de néphrologie pédiatrique.
L’hépatite B frappa le milieu de la dialyse dans les années 1970 à 1980 : touchant les malades mais aussi médecins et infirmières. Philippe Maupas très lié au service proposa son vaccin et Philippe Bagros et moi avec les infirmières fûmes  les premiers vaccinés au monde contre cette maladie. Philippe Bagros fut un promoteur très motivé pour la mise en place du vaccin auprès des patients et du personnel.
Puis Yvon Lebranchu vint compléter l’équipe pour mettre en place la transplantation rénale dont la première eu lieu en 1985. Grâce à la pugnacité des chirurgiens urologues dirigés par Yves Lanson, cette activité  a pris une place prépondérante dans le service avec plus de 3000 transplantations rénales faites à ce jour avec un rythme de 120 à 140 par an, chiffres qui placent le CHU de Tours parmi les grands centres de transplantation rénale français.
Avec la transplantation, les protocoles et la recherche en laboratoire prirent place dans le service mais il nous laissa cette activité, les aspects psychologiques, philosophiques et sociaux étaient plus son domaine que les cellules responsables du rejet de greffe.

L’enseignement le passionnait autant si ce n’est plus que la clinique. Dès 1968 il était auprès des étudiants pour demander plus d’enseignement dirigés et un véritable accompagnement des étudiants à l’hôpital. Il fit partie des pionniers de l’enseignement par objectif et de la docimologie, la science du contrôle des connaissances.
C’est donc tout naturellement que le doyen Gouazé lui confia l’enseignement des sciences humaines à la faculté de médecine. Partie d’une épreuve de contraction de texte cette matière devint une vraie discipline avec un enseignement structuré. Philippe Bagros fit venir les meilleurs conférenciers, écrivit articles et livres sur ce sujet. Parti de Tours cet enseignement est maintenant obligatoire dans toutes les facultés avec des  épreuves discriminantes dans la sélection des étudiants. 
C’est alors que nous l’avons vu partir dans une recherche incessante dans la littérature, les sciences humaines, la philosophie ; nous avons vu arriver dans le service des sociologues, des philosophes, des avocats et bien d’autres encore. 
Il est resté intarissable jusqu’à ses derniers jours, sur des sujets comme la sémantique médicale,   la symbolique du corps,  le rôle de la douleur ou   la médecine dans la littérature.

Il fut aussi certainement un des plus originaux de sa génération,

car c’était le yin et le yang réuni, la gauche et la droite, il était tout à la fois
il pratiquait la néphrologie mais enseignait la philosophie
Homme de la ville, élevé dans un immeuble haussmannien il habitait un troglodyte à la campagne.

Intellectuel fini, il se lança dans l’élevage des chevaux

il était calme d’apparence mais plein d’énergie, alors que notre service était dans une salle commune, il nous poussa à investir un service désaffecté avec infirmières et malades pour forcer la lenteur administrative.
Patients et infirmières disaient : « Il n’est pas fier le patron », même lorsque le jour de la visite du ministre de la santé de Pologne l’administration lui demanda de retirer sa vieille 2cv de la place  qui lui était réservée, la voiture du  chef de service ternissait l’image de marque du CHU
Le matin, il ne pouvait pas commencer sa journée sans aller saluer personnellement tous les soignants présents dans le service, quitte à recommencer de peur d’avoir fait un oubli.

Il a mis à mal les relations du service  avec celui d’obstétrique   en accompagnant sa femme accoucher « sans violence » dans la maternité alternative de  Pithiviers
Enfin, il reste le seul professeur de notre faculté de médecine médaillé en sport de compétition en « section danse de salon » 

Lorsqu’il quitta toute activité à l’hôpital et la faculté, son service était en ordre de marche, dirigé  aujourd’hui par les Pr Matthias Büchler et Jean Michel Halimi avec le concours de nombreux autres praticiens. 
L’esprit d’humanité et d’empathie perdure.

A la retraite, Philippe Bagros  fit une conversion progressive et profonde vers la foi catholique avec une ferveur insoupçonnée.
Frappé par une maladie pulmonaire évolutive et très invalidante, dont il connaissait le pronostic péjoratif certain ; avec  résignation et sérénité, il resta lui même mêlant l’attaque médicale ordonnée et l’organisation de ses propres soins palliatifs,  soutenu par Hélène son épouse 
Philippe Bagros nous a quitté  le 12 octobre au matin..
Nous pouvons tous dire à son épouse et à ses enfants qu’ils peuvent être fiers : Philippe Bagros   a marqué son passage dans le milieu hopitalo- universitaire  par son humanité exemplaire  et sa farouche énergie à placer l’art médical au milieu des sciences humaines.