Nguyen-Khoa MAN - 1932-2017

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Nguyen-Khoa Man (1932-2017)

Figure connue et très appréciée de la communauté néphrologique, notre collègue Nguyen-Khoa Man, est décédé brutalement le 1er janvier 2017.

Né le 13 novembre 1932 à Huê dans l’enceinte de la Cité Impériale, il était issu d’une lignée de hauts fonctionnaires de rang mandarinal. Son enfance a été très heureuse. Sa scolarité a été entièrement menée dans des institutions catholiques françaises implantées à Huê, d’abord à l’Institution Jeanne d’Arc des sœurs St Paul de Chartres jusqu’à l’âge de 7 ans, puis au Collège de la Providence dirigé par les Pères des Missions Etrangères jusqu'au baccalauréat de l'enseignement secondaire. Outre la maitrise de la langue française, il y acquit une parfaite connaissance de l’histoire et des traditions de notre pays, qui devait se révéler précieuse par la suite, en même temps que le goût de la perfection dans le travail, de la rigueur dans le raisonnement, et du respect de principes moraux exigeants.

Il avait choisi la série Sciences Expérimentales, qui était alors la meilleure préparation aux études médicales, car sa vocation médicale était déjà affirmée et répondait à son attirance pour les disciplines scientifiques et à son désir de soigner les personnes souffrantes. Ce choix n’entrait pas dans la tradition familiale, qui l’aurait plutôt conduit à entamer des études conduisant à des fonctions de magistrat ou d’administrateur. Toutefois, ses parents ont respecté son choix et lui ont donné les moyens de venir à Paris pour y entreprendre des études de médecine. Il obtint son PCB (certificat d’études physiques, chimiques et biologiques, équivalent de l’année de sélection du premier cycle des études médicales actuelles) à la faculté des Sciences en 1951 puis, au terme du cursus des études à la faculté de Médecine, il passait sa thèse d’état de Docteur en Médecine en 1958, à l’âge de 26 ans.

Ses études de médecine l'ont conduit à valider des stages dont l'un dans le service des prématurés à Abbeville. Là, il rencontra une jeune puéricultrice, Yvette Lecomte, originaire de la ville voisine de Mers-les-Bains. Ils se marièrent à Paris. Cette union est restée indéfectible.

Il ne lui restait qu’à rentrer à Huê pour mettre ses compétences au service de ses compatriotes. Jugeant sa formation désormais achevée, NK Man, sa jeune épouse et son premier fils Marc embarquèrent en décembre 1959 à Marseille pour rejoindre Saigon et, de là, Huê. A son arrivée, N.K. Man fut recruté comme médecin-chef du service de Médecine à l’hôpital central de Huê. Dès lors, il partagea son activité entre son service hospitalier et un cabinet de consultation en ville, si bien que ses journées de travail commençaient à 7 heures du matin pour se terminer le plus souvent après 21 heures.

Son avenir paraissait tout tracé, mais le destin en avait décidé autrement. La guerre d’Indochine déchirait le pays depuis 1946 et, après le désastre de Diên Biên Phu en 1954, les accords de Genève avaient divisé le pays en deux états, de part et d’autre du 17ème parallèle. La ville de Huê étant située sur le 15ème parallèle resta rattachée à l’état du Sud-Vietnam, sous protectorat français. Mais les troupes du Nord-Vietnam (Viet Minh) continuaient inlassablement leur offensive en direction du Sud, tandis que les troupes sud-vietnamiennes soutenues par les USA, impliqués militairement à leurs côtés à partir de 1964, s’efforçaient de contenir leur progression. Telle est la toile de fond des évènements qui devaient bouleverser la vie de N.K. Man et de sa famille.

En raison de la menace que l’avancée des troupes du Viet Minh faisait courir à Huê, N.K. Man était appelé sous les drapeaux en septembre 1962 et affecté comme lieutenant de réserve à un hôpital militaire proche de l’aéroport de Huê.

Fort heureusement, en juillet 1963, il était nommé maitre de conférences à la Faculté de Médecine de Huê qui venait d’être créée l’année précédente. En effet, un an plus tôt, à l’instigation de l’OMS et avec l’aide de la République Fédérale d’Allemagne, une faculté de Médecine était implantée à Huê sous l’égide de la faculté de Fribourg-en-Brisgau qui y délégua une équipe de ses professeurs. Ce poste d’enseignant le libéra des obligations militaires et lui permit d’obtenir l’année suivante une bourse d’études pour un perfectionnement en médecine à l’hôpital universitaire de Fribourg. Son désir était de se former à la néphrologie, discipline nouvellement créée qui l’attirait par son côté scientifique et innovant. Il était fasciné par la possibilité de pallier le déficit d’un organe vital par un appareil artificiel, manifestant déjà ainsi son attrait pour la technologie mise au service de la médecine.

C’est là que la main du destin est intervenue. Son départ pour l’Allemagne, avec son épouse, et désormais trois enfants (Marc et deux filles, Phuong et Thao, étaient nées à Huê) était prévu pour juin 1964, mais le très jeune âge de la benjamine l’avait amené à différer le départ de quelques mois. De plus, de multiples difficultés administratives tenant à l’état de guerre avaient encore retardé le voyage. Finalement, ce n’est qu’en février 1965 que N.K. Man, son épouse et ses trois enfants ont enfin pu embarquer sur le bateau qui les amena à Marseille. Comme l’a écrit plus tard N.K. Man « A ce moment-là, je ne savais pas que je quittais le Vietnam pour toujours et que je ne reverrais plus jamais mon pays, la terre de mes ancêtres ». Ce retard s’est, en fait, avéré une chance qui devait lui sauver la vie.

A Fribourg, il intègre l’équipe de médecine interne et de néphrologie du Pr J. Schirmeister comme assistant scientifique. Il s’y fait remarquer par sa motivation et son ardeur au travail, à tel point que sa bourse d’un an est exceptionnellement prolongée de deux ans, ce qui lui permet de postuler au titre de Privat-Docent (équivalent à agrégé en France). Pendant ce séjour, la famille s’agrandit d’un quatrième enfant, Sophie.

Mais, soudain, une nouvelle effroyable leur parvient. Le 30 janvier 1968, le jour du Têt Mâu Thân, la ville de Huê est envahie par l’armée du Viet Minh et est le théâtre du massacre de milliers d’habitants, dont plusieurs membres de sa famille et même les enseignants allemands de la faculté de médecine, dont on retrouva les corps dans un charnier. A la suite de ces évènements tragiques, le gouvernement vietnamien rappelait d’urgence ses boursiers en stage à l’étranger pour remplacer les médecins assassinés. Que faire ? N.K. Man ne pouvait évidemment pas accepter de prendre le risque d’exposer sa famille aux aléas d’une guerre de plus en plus impitoyable. Il prit la sage décision de rester en Europe en se rangeant aux conseils du Pr J Schirmeister. Grâce au soutien élogieux et aux liens amicaux de ce dernier avec J-L Funck-Brentano, qui le présenta au Pr J Hamburger, N.K. Man obtenait un poste de vacataire dans le service sur la base de trois gardes par semaine dans l’unité d’hémodialyse, à partir du 1er juillet 1968 et s’installait définitivement à Paris.

C’est là que commença la seconde partie de la vie de N.K. Man, qui devait être nettement moins mouvementée! En se penchant sur son passé, il se rendit compte que s’il était parti pour son stage de perfectionnement en Allemagne comme prévu en juin 1964, il aurait été obligé de regagner le Vietnam au plus tard au bout de 3 ans, durée maximale des bourses de perfectionnement à l’étranger, si bien qu’il aurait été présent à Huê en janvier 1968 avec le sort que l’on imagine pour lui et sa famille. Son « exil » en France devait s’avérer extrêmement bénéfique tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel et familial. Il ne manquait jamais d’exprimer sa reconnaissance à la France qui l’avait accueilli. L’arrivée de Julie en 1971 agrandit encore la famille.

Dès son arrivée à Necker, N.K. Man s’est intégré à l’équipe d’hémodialyse chronique créée en 1961 par Jacques Vantelon, rejoint deux ans plus tard par Joke Zingraff et Tilman Drüeke puis par Malik Touam, dans le Département de Néphrologie du Pr J. Hamburger, puis dans le Service de Néphrologie et Dialyse dirigé d'abord par Pr J. Crosnier et ensuite par le Pr J.-P. Grunfeld, et désormais installée dans le nouveau bâtiment, qui porte aujourd’hui le nom de Jean Hamburger. Son arrivée était d’autant plus bienvenue que la charge de travail de l’unité de dialyse s’était considérablement accrue et que de nombreux problèmes techniques se posaient en permanence. N.K. Man a bientôt été chargé de diriger le laboratoire de recherche sur le rein artificiel installé en 1969 au 5ème étage de l’aile dévolue à la Néphrologie. Dès lors, il devait donner une impulsion décisive au progrès de la technologie de l’hémodialyse de suppléance et à son enseignement, créant à Necker une véritable école de dialyse qui a formé des dizaines de médecins, de techniciens et d’infirmières. En 1973, il était nommé Professeur associé des Universités en néphrologie puis, en 1977, Maître de recherche à l’Unité 90 de l’Inserm dirigée d’abord par Jean-Louis Funck-Brentano, puis par Tilman Drüeke à partir de 1986.

Aussi à l’aise avec le langage des ingénieurs qu’avec celui des médecins, il se plaisait à se définir lui-même comme une interface entre ces deux mondes, ce qui lui a permis d’orienter le développement technologique en fonction des besoins des patients. Dans le cadre d’une action concertée entre la DGRST et la Société Rhône-Poulenc, il a fortement contribué au développement de la première membrane de dialyse de haute perméabilité, la légendaire AN69, ainsi que du dispositif nécessaire pour réguler la rapide ultrafiltration qu’elle permettait. L’utilisation des dialyseurs équipés de cette membrane a considérablement augmenté l’efficacité d’épuration et la tolérance clinique des séances d’hémodialyse.

Il a ensuite participé inlassablement à l’amélioration des performances des membranes de dialyse et à la mise au point des dispositifs de monitorage concourant à la simplification et à la sécurité de l’hémodialyse. Dans son laboratoire, ainsi que dans l’unité d’hémodialyse, il a testé les performances de toutes les membranes, de tous les dialyseurs et de tous les générateurs introduits sur le marché. Il a mené des recherches couvrant tous les aspects théoriques et pratiques de l’hémodialyse, notamment sur la modélisation du transfert des solutés, de l’eau et des électrolytes, la biocompatibilité du matériel de dialyse et le traitement de l’eau, pour n’en citer que quelques-unes. Il a approfondi les concepts définissant la dialyse adéquate, ce qui l’a amené à promouvoir la dialyse quotidienne courte, qui se rapproche le plus du fonctionnement physiologique continu des reins, qu’il a développée en coopération avec le Pr J. Traeger à Lyon. Pour autant, il ne restait pas confiné dans son laboratoire. Souvent, il était appelé en renfort par les infirmières de l’unité de dialyse lorsqu’une fistule s’avérait impossible à ponctionner : il y réussissait toujours.

Ses qualités de chercheur lui ont valu d’être nommé, en 1986, directeur de recherche à l’INSERM, et son expertise technologique d’être élu membre de la Commission Nationale d’Hémodialyse et président de nombreuses commissions normatives du Ministère de la Santé réglementant la technologie et les structures de l’hémodialyse en France. En 1994, il était élu membre du comité d’évaluation des dispositifs médicaux de la Commission Européenne.

Son activité d’enseignement a été considérable et exemplaire. Au cours de trois décennies, il a formé à la méthode de l’hémodialyse plus de 40 élèves, qu’il s’agisse de néphrologues français et étrangers venus de toutes les parties du monde, de techniciens d’hémodialyse et d’élèves ingénieurs. Il était professeur de Génie Médical à l’université de technologie de Compiègne, à l’ENS d’électronique de Pontoise, à l’Ecole Centrale de Chatenay-Malabry et directeur de thèses à l’Ecole Polytechnique. Il a dirigé ainsi un grand nombre de thèses de doctorat en Médecine ou en Pharmacie, de mémoires de fin d’études d’ingénieur ou de stages post doctoraux. Il a de plus animé de nombreuses sessions de formation, en France et à l’étranger, destinées notamment aux infirmières d’hémodialyse. Son enseignement de type maïeutique, toujours original, rigoureux et stimulant, était très apprécié. Les nombreux médecins venus en stage de formation ou de perfectionnement dans son laboratoire ont essaimé dans toutes les régions de France et dans de multiples pays, créant un réseau d’amitiés durables. Cette transmission des connaissances s’est également manifestée par sa contribution à la rédaction de plusieurs traités consacrés à l’hémodialyse de suppléance, ainsi qu’au traitement préventif et curatif de l’insuffisance rénale terminale, et à leurs multiples rééditions.

Son activité ne s’est pas arrêtée le jour de sa retraite en 2001. Bien au contraire, il a continué à animer de nombreuses réunions de formation post universitaire en France et à l’étranger, notamment au Japon via association néphrologique franco-japonaise. C'est au Japon, invité par le Pr Sugino, qu'il avait eu la fierté de présenter un symposium avec sa fille Thao et ses amis P. Jungers et Z.A. Massy. Il a de surcroit participé à trois rééditions, à chaque fois soigneusement réactualisées, de nos ouvrages sur le traitement de l’insuffisance rénale chronique et l’hémodialyse de suppléance, sans compter en dernier lieu un traité sur l’hémodialyse quotidienne en collaboration avec le Pr J. Traeger.

Le 12 septembre 2012, il eut le grand plaisir d’être honoré de la médaille Belding H. Scribner décernée par la Société Francophone de Dialyse, couronnement d’une vie professionnelle exemplairement riche. Dans son discours de remerciement, il a tenu à redire sa reconnaissance à tous ceux qui l’avaient aidé aux différentes étapes de sa vie, et à la France qui l’avait accueilli avec générosité. La reconnaissance est assurément la marque des âmes nobles. Il la considérait comme un devoir sacré et n’a jamais manqué de l’exprimer.

Sa fidélité à ses racines restait vivace. Ce fut un crève-cœur constant pour lui de ne pouvoir revenir au Vietnam revoir la terre de ses ancêtres, mais il a eu la satisfaction de savoir que le plus haut temple de la Cité Impériale de Huê, gravement endommagé au cours de la guerre, avait été restauré sous la direction de sa fille Sophie grâce à une action de l’UNESCO et que sa fille Thao, biologiste des hôpitaux, avait pu y effectuer plusieurs missions d’enseignement. Faute de pouvoir se rendre lui-même au Vietnam, il a constamment œuvré à aider la faculté de médecine de Huê à se développer et à s’équiper. En dernier lieu, il s’efforçait de rendre l’hémodialyse accessible au plus grand nombre de patients au Vietnam, au moyen d’une association (Rein Artificiel Mutualisé - Than Nhan Tao, RAM-TNT) ayant pour but d’organiser la fourniture de matériel de dialyse à coût maitrisé. Souhaitons que cette initiative généreuse soit relayée et menée à bien.

Ses qualités humaines n’étaient pas moindres que ses qualités intellectuelles. Chacun appréciait son abord ouvert et souriant, son humour, sa fiabilité, son accueil chaleureux, sa loyauté, sa fiabilité et sa fidélité en amitié. C’était un vrai humaniste, empreint de tolérance, de bienveillance et d’empathie pour les patients, qui avait le désir constant d’améliorer leur vie.

Sa vie familiale a été une source de grande satisfaction. Ses cinq enfants (Marc, Lise, Thao, Sophie et Julie) ont tous effectué des études universitaires et connaissent une pleine réussite professionnelle et familiale. Quel meilleur témoin de la réussite de sa vie que l’affection et le soutien sans faille de son épouse au cours de toutes les difficultés traversées, ainsi que le respect et la profonde affection que lui manifestent ses cinq enfants, qui étaient sa grande fierté.

La foule impressionnante de parents et d’amis qui assistaient à ses obsèques témoigne de l’estime et de l’amitié de tous ceux qui l’ont connu et constitue un réconfort moral pour son épouse et ses enfants. Qu’ils soient assurés de toute notre sympathie dans cette épreuve.

Paul Jungers

auquel se joignent :

Jean-Pierre Grünfeld,
Tilman Drueke,
Johanna Zingraff,
Ziad Massy,
Malik Touam