Guy LAURENT - 1934-2018

laurent

Hommage à Guy Laurent, 23 Janvier 2018

Nous voyons loin parce que nous sommes juchés sur les épaules des Géants…

Guy Laurent m'a fait monter sur ses épaule le 1er Septembre 1989. A 32 ans on ne mesure pas toujours la chance que l’on a.

Il m'a avoué un jour que lorsque j'avais postulé à la fin de mon clinicat tous les confrères de Tassin était favorables à mon intégration ...sauf lui.... Alors j'ai compris que j'avais à faire à un vrai démocrate. Ou alors c’est peut-être aussi parce que j'avais un atout maître pour convaincre sa réticence... Plus que ma formation hospitalo-universitaire j'etais un Vellave, comprenez un natif du Velay comme Guy. Cette vieille Province est citée par Ptolémée et Jules César. Guy était originaire du Puy en Velay, ville capitale, moi de Montfaucon en Velay, capitale du Velay d’au-delà des bois…En quelque sorte comme le chantait Brassens nous étions de ces imbéciles qui sont nés quelque part. Et nous en étions fiers. Et aujourd’hui la belle ferme de Colony est orpheline.

Une fois sur ses épaules, je n'ai pas pu m'empêcher de jeter un coup d’œil en arrière…En 1989 l’œuvre était immense. Un des papes du management Peter Drukker disait : « Chaque fois que vous voyez une entreprise qui réussit, dites-vous que c'est parce qu'un jour quelqu'un a pris une décision courageuse ». Après avoir développé la dialyse à l’Hôpital de l’Antiquaille avec Jules Traeger, Guy a été courageux et entrepreneur en fondant le Centre de Rein Artificiel de Tassin le 4 Août 1969. Il aimait les symboles…Dans cette belle réussite il a été épaulé par ses amis Jean et Marc Cuche, il avait l’amitié œcuménique, vite rejoint aussi par Ned Calemard, le sage qui savait tempérer l’énergie débordante et tempétueuse de Guy. C’était bien souvent nécessaire…. Guy Laurent a par la suite donné leur chance à d’autres médecins plus jeunes dont j’ai fait partie pour partager l’aventure. Guy a fait de Tassin un endroit unique par la qualité des soins délivrés aux patients (je salue au passage les nombreux membres du personnel soignant que Guy a formé et qui sont présents aujourd’hui), par les débats animés sur la pertinence de nos prescriptions, par la convivialité qu’il a instaurée et toujours maintenue. Je dois à Guy de m’avoir permis en 1993 de m’absenter un an du Centre pour accomplir mon rêve américain et votre visite, chère Béatrice, tous les deux avec Guy, fut un moment fort de notre séjour en Californie.

Guy avait deux lignes de conduites dans sa pratique de la médecine. La première était de refuser les dogmes, ce qu’il savait faire avec conviction et parfois un peu de …dogmatisme. Il ne cédait pas aux modes. Ce qu’il faut savoir c’est que Guy, contre vents et marées, est resté fidèle à la méthode de dialyse originelle avec des séances longues alors que la tendance majoritaire des années 70 était de réduire leur durée. Bien sûr à court terme les patients y trouvaient un bénéfice à être moins longtemps attaché à la machine de dialyse, mais les complications médicales que la durée de la séance pouvait prévenir n’ont pas manqué d’apparaître. C’est ainsi qu’est née la réputation au-delà des frontières et des océans du Centre de Rein Artificiel de Tassin et de Guy Laurent qui défendait ses principes avec éloquence. Il y eut en 1983 un débat contradictoire à Londres au congrès européen de néphrologie entre Guy Laurent et Vicenzo Cambi, néphrologue italien partisan de la dialyse courte. Avec malice le modérateur du débat avait conclu : tout le monde pense comme Guy Laurent, mais tout le monde fait comme Vicenzo Cambi. Mais Guy, lui, a toujours agi selon ses convictions sans se laisser imposer quoi que ce soit. Et il a convaincu beaucoup de confrères dans le monde entier, et je pense en particulier à l’Amérique du Sud où Guy était admiré avec en plus le bonus de sa maitrise de la langue castillane.

Mais ça n’était pas toujours facile de lui faire accepter des changement dans la dialyse ou de lui faire accepter la prescription de nouveaux médicaments. Le convaincre n’était pas impossible mais la prudence était la règle. Primum Non Nocere. D’abord ne pas nuire… Mais bon la jeunesse nous poussait à chercher plus d’efficacité. Je qualifiais avec humour la réticence au changement de nos aînés de « prudence rance », un terme emprunté à Marguerite Yourcenar. Ca faisait beaucoup sourire Guy car nous avions le débat plutôt joyeux. Et quand les désaccords étaient plus sérieux, c’est au tour de la table du déjeuner du vendredi que les différents étaient aplanis. Cette table était ouverte à nos confrères de l’extérieur qui partageaient la prise en charge souvent compliquée des patients. La générosité et la convivialité de Guy ont été rappelés dans beaucoup des témoignages reçus ces jours-ci.

Et puis comment ne pas évoquer son initiative pour redonner à la dialyse toute la place qu’elle méritait lors des réunions annuelles de notre communauté néphrologique. Face à cette portion congrue, Guy a entrainé certains d’entre nous dans la création de la Société Francophone de Dialyse en 1991. Cette initiative dérangeante et iconoclaste fut accueillie fraichement par certains de nos confrères n’en partageant pas le bien-fondé. Elle était bien à son image de fonceur n’hésitant pas à bousculer l’ordre établi. Le succès des réunions communes avec la Société de Néphrologie quelques années plus tard, la place pleine et entière retrouvée de la dialyse dans les programmes, et tout le travail fait par les présidents de la SFD qui lui ont succédé jusqu’à la création de la Société Francophone de Néphrologie, Dialyse et Transplantation en 2016 ont montré que Guy avait eu raison.

Sa deuxième ligne de conduite était de libérer au maximum les patients du fardeau de la maladie. L’humanité qui l’habitait a ainsi pu donner le meilleur d’elle-même en les rassurant et en leur ré-ouvrant les champs du possible. Ainsi il les a poussés à faire la dialyse à domicile dès 1967, se faisant accuser d’exercice illégal de la médecine par le ministre de la santé de l’époque. Il les a poussés aussi à reprendre le travail, ce que refusaient les médecins du travail qui ne savaient que faire face à ses patients dont la vie dépendait d’une machine. Qu’à cela ne tienne Guy a fondé la Société Matériels Annexes de Dialyse, la SMAD, dans un appartement de Sainte Foy Les Lyon et il y a embauché des patients qui fabriquaient le matériel de leur propre traitement. La SMAD dont les 50 ans ont été fêtés l’année dernière, est actuellement une entreprise florissante de l’Ouest Lyonnais qui emploie plus de 600 personnes et fabrique jusqu’à 40% de la demande mondiale de certains composants de la séance de dialyse.

De très nombreux patients lui ont fait confiance et lui ont voué un véritable culte, témoignant ainsi du souci qu’il a toujours eu de soigner, réconforter, faciliter leur vie sans relâche. Sa réputation avait largement dépassé les frontières et certains patients ont fait de la dialyse à domicile grâce à Guy par exemple en Yougoslavie et au Cameroun. Tout au long de son parcours il a ouvert les portes à la compréhension des problématiques de cette maladie très grave qu’est la Maladie Rénale Chronique. Par exemple Guy avait compris avant beaucoup d’autres l’importance du régime sans sel ou de la nutrition pour que les patients aillent bien. A l’Antiquaille, il jouait à cache-cache avec la diététicienne du service nourrissant les patients en cachette. Et quand les premiers patients qu’il avait traités dans les années 60 sont devenus dépendants il a créé une maison de retraite pour eux. Ce modèle est resté unique. A l’heure du parcours de soins et de la prise en charge holistique, termes très en vogue en ce moment, on voit que Guy Laurent était un précurseur.

Je ne ferai que citer le marin, l’apiculteur, le paysan, les engagements municipaux, la générosité envers les jeunes en difficulté avec la création de Laurenfance, envers les réfugiés qu’il a accueillis après le déménagement du Centre… Respect, mon cher Guy…

Nous avons pris le relais après son départ. Quelle héritage, quelle responsabilité… L’attention au patient, l’obsession de la qualité des soins, offrir des possibilités de traitement sortant des standards, mais aussi la convivialité, et les publications sur notre travail, tout ceci est resté notre préoccupation pour suivre les traces que Guy avait défrichées avec tant de talent et tant de charisme. Ca n’est pas facile pour de multiples raisons. Tout change vite, très vite. Mais nous gardons et devons garder cette vision parce que justement nous avons été juchés sur les épaules de ce géant, Guy Laurent, et nous n’aurions aucune excuse à ne pas réussir.

Guy Laurent aura été un scientifique et un médecin avec un cœur « gros comme ça ». J’emprunte au Pr Gabriel Richet dans la préface du livre de Guy « Aventure Médicale » cette phrase qui illustre bien celui que nous accompagnons aujourd’hui: « Qu’elle serait belle et utile à écrire l’histoire de la part du cœur dans les progrès de la science… ».

Cher Guy, Reposez en Paix, vous l’avez bien mérité….

Et accueillez bien Mr Paul avec qui vous partagez l’audace et la truculence.

On ne va pas s’ennuyer au Paradis…

Charles Chazot